ATTENTION, CET ARTICLE A ETE ECRIT
Lyon est-elle toujours la capitale de la soie ? Depuis que François 1er donna aux négociants lyonnais le privilège de la fabrication des tissus de soie en 1538, Lyon a bâti sa fortune et sa renommée mondiale en tissant des kilomètres d'étoffe soyeuse. Mais aujourd'hui, la soie n'a plus la cote et cette réputation est mise à rude épreuve. Les soyeux tentent de redonner à cette matière noble son éclat. On a longtemps dit qu'à Lyon coulaient trois fleuves :
le Rhône, la Saône et ... les larmes des soyeux. Cette image des fabricants de soie qui se plaignaient sans arrêt de leurs soit-disant difficultés au siècle dernier, alors
qu'ils exploitaient jusqu'à la corde les ouvriers "canuts", a vécu. Si l'industrie de la soie lyonnaise est en perte de vitesse, les soyeux entendent bien restaurer l'image de l'étoffe
qu'ils fabriquent.
"En volume, la soie représente une part marginale de la production" admet Jean Freidel, président d'Unitex, le syndicat des professionnels du textile. "Mais c'est un produit haut de gamme,
qui tire l'image de Lyon et de son industrie textile dans le monde entier".
D'où le combat que mènent à l'heure actuelle les soyeux lyonnais. Si la soie n'est qu'une goutte d'eau dans la production textile nationale (0,5 %), elle symbolise un savoir-faire acquis
au fil de plusieurs siècles d'histoire locale. Et cette image de marque qui profite à l'ensemble de l'industrie textile (basée à 85 % en Rhône-Alpes), il n'est pas question de la lâcher malgré
les difficultés que traverse le monde aujourd'hui restreint de la soie. En 1995, les soyeux lyonnais produisaient 354 tonnes de fil de soie et 335 tonnes de tissus. Ce qui représente environ deux fois
moins qu'il y a dix ans, et vingt fois moins qu'au début du siècle. Les raisons de cette dégringolade sont multiples. La concurrence séculaire avec les soyeux italiens a fait des dégâts. Tout comme
la France, l'Italie possède toute la chaîne de fabrication de ce textile, des filatures jusqu'à l'impression finale. De l'autre côté des Alpes, on ne chôme pas avec une production sept fois supérieure à celle
de la France et on tire sur les prix. Concurrence des Italiens et des Chinois
Autre ennemi de la soie lyonnaise : la Chine, d'où proviennent 80 % de la matière première qui sert à fabriquer le fil de soie. Principal producteur de ver à soie, la Chine a passé un cap voilà plus de cinq ans
en exportant des produits finis à très bas prix et de qualité médiocre. Résultat : les chinois ont affolé le marché en tirant les prix vers le bas et ont entraîné une désaffection générale pour cette matière noble.
Sur quoi est venue se greffer la crise dont les produits de luxe ont pâti.
Conséquence de cette crise de la soie, de grandes maisons soyeuses ont été contraintes de mettre la clé sous la porte ou se sont fait racheter par des investisseurs. Le mois dernier,
l'entreprise Tassinari et Chatel, un des plus anciennes manufactures de soierie lyonnaise pour ameublement, a changé de main. Avec 5 millions de pertes en 1995, la société Decroix (tissage et location de linge), filiale de la Générale des Eaux
a préféré se débarrasser de ce qui fut le fleuron de la soierie lyonnaise. Son avenir est désormais entre les mains de Jean-Baptiste Bellescize, investisseur d'origine lyonnaise qui a fait fortune dans les relations publiques. Déjà l'année dernière, le soyeux
Bucol, fournisseur de soie pour la haute-couture, était racheté par le groupe Perrin, une filiale d'Hermès. La tendance est maintenant à la concentration, les maisons familiales passant sous le contrôle de groupes puissants.
Malgré la désaffection qui entoure la soie, Hermès tire son épingle du jeu. Elle a réalisé l'an dernier un chiffre d'affaires de près de 4 milliards (300 millions de bénéfices) dont 25 % réalisés en Rhône-Alpes à travers
ses filiales. Hermès s'impose désormais comme le leader de la soie dans la région et prouve que la soierie de luxe a encore des adeptes.
Mais pour les entreprises qui travaillent encore à l'ancienne, en utilisant des métiers à tisser du siècle dernier seuls capables de produire des tissus complexes que les machines modernes ne savent pas faire, le tableau est
moins rose. La manufacture Prelle n'a pas dégagé de bénéfice en 1995 et s'inquiète pour le renouvellement de sa main d'oeuvre. Ses commandes de soierie ancienne par les musées ou châteaux du monde entier se font rares et elle pourrait connaître des difficultés à former des
ouvriers capables de travailler sur les anciens métiers à tisser. Sans la transmission de ce savoir-faire, Lyon ne serait plus capable de produire les étoffes qui ont fait sa réputation aux quatre coins du monde.
La défense s'organise
En ce qui concerne la lutte avec l'Italie, les soyeux lyonnais, quand ils ne peuvent pas baisser leur prix, doivent jouer sur la qualité des produits. André-Claude Canova voit d'ailleurs dans cette bataille un stimulant. "Nous sommes plus
chers que les Italiens mais nous apportons à nos clients un service et surtout une qualité" estime le fondateur de l'entreprise de confection soyeuse Canova (carrés, cravates) créée à Lyon il y a 20 ans. La qualité de la soie lyonnaise est d'ailleurs très prisée par les créateurs de mode. Le parisien
Olivier Lapidus a réalisé ses dernières collections en soie "made in Lyon" et Lise Tarraud ne jure que par les tissus de chez Bucol pour ses robes de mariée.
La qualité des tissus lyonnais n'est semble-t-il plus à prouver. L'enjeu est aujourd'hui de faire rayonner cette image auprès des acheteurs qui perdent l'habitude de se fournir à Lyon. Afin que la ville retrouve son aura d'autrefois, les professionnels misent
sur la mise en valeur du patrimoine soyeux. Pour Claude Szternberg, directeur d'Unitex, il s'agit désormais "de marier l'économie, la culture et le tourisme". La Maison des Canuts, conservatoire vivant des métiers de la soie, demeure un des endroits les plus fréquentés de Lyon avec 35 000 visiteurs par an. L'objectif
est de mettre ce patrimoine encore mieux en valeur. La Maison des Canuts devrait d'ailleurs être prochainement agrandie.
La tenue du prochain sommet du G7 devrait participer à cette logique : les chefs d'Etat recevront des cadeaux de soie, des expositions se tiendront au Musée des Tissus. Le Musée de la rue de la Charité présente par ailleurs en ce moment au Japon une exposition sur la soierie lyonnaise.
Après des années d'assoupissement favorisées par une position de leader trop confortable, Lyon repart à la conquête du monde pour damer le pion à ses concurrents. L'enjeu est de taille car l'aura retrouvée d'une soierie haut de gamme pourrait véhiculer de nouveau l'image de l'industrie
textile lyonnaise à l'étranger. Mais il s'agit là d'une stratégie à long terme, amorçée depuis peu, et les fruits de ces efforts ne se récolteront que demain.
Garder la mémoire
Depuis le temps que l'on annonce la mort des derniers Canuts de la Croix Rousse, cela devait bien finir par arriver. La poignée d'ateliers de tissage qui fonctionnent encore,
soit pour la production, soit pour le simple plaisir de vivre des machines ancestrales, pourraient mettre la clé sous la porte avec la prochaine fermeture des deux derniers ourdisseurs lyonnais indépendants. Chargés de préparer
la chaîne de tissage, les ourdisseurs ont un rôle indispensable dans la confection soyeuse et sans eux, les derniers tisseurs ne pourront plus faire claquer leurs métiers. Plus qu'une profession, c'est donc une partie de la culture
lyonnaise qui risque de faire le voyage avec le départ de ces derniers ateliers.
Pourtant, depuis plusieurs années, la lutte pour la conservation de ce patrimoine s'organise à la Croix-Rousse. L'association "Soierie Vivante" a vu le jour en 1993 avec cette volonté :
veiller à la sauvegarde et à la mise en valeur du patrimoine lyonnais des métiers de la soierie.
Ambitieux dans son premier élan, les objectifs du projet ont été revus à la baisse. L'association ne cherche plus 1200 m2 prévus au départ, mais seulement la moitié. Ce conservatoire, qui a besoin d'un budget de 600 000 francs, semble avoir du mal à convaincre les industriels de la soie et la municipalité.
Il faut dire qu'il existe déjà à Lyon une structure qui continue de faire vivre ces métiers d'autrefois : la Maison des Canuts. Née en 1970, rue d'Ivry (4ème), cette coopérative ouvrière de tissage qui vend sa production aux visiteurs (cravates, foulards...) s'est imposée comme un conservatoire vivant des métiers de la soierie. Et elle envisage
aujourd'hui de s'agrandir. Autant dire que le projet de Conservatoire risque de faire un peu doublon, mêmes si les instigateurs du projet y voient plutôt un complément indispensable dans la route de la soie lyonnaise, déjà balisé par le Musée des Tissus et la Maison des Canuts.
La soie se plie en quatre pour le G7
Le G7 devrait donc profiter aux soyeux lyonnais. L'Hôtel de Ville, qui profite de l'évènement pour se refaire une beauté, a ainsi passé commande de tentures de rideaux à la manufacture Prelle, établie à Lyon depuis 1752. Mais le PDG de cette maison spécialisée dans le tissu d'ameublement haut de gamme ne compte pas en rester là. Guillaume Verzier entend bien profiter du G7 pour
partir à la conquête de nouveaux clients. La manufacture Prelle s'est associée à quatre grandes maisons de luxe lyonnaise (Bronze d'art français, le tapissier Jouffre, le ferronnier Orgiazzi et le passementier Reymondon) pour créer le Comité Bellecour en novembre 1995, avec pour but de promouvoir les métiers de la décoration de luxe de la région.
Frédéric CROUZET
source : page disparue sur Internet = http://www.lyoncapitale.com/anciens/38soie.html
|