du Bombyx @ la Soie
Lyon sera soie !
article de Frédéric Crouzet

22/08/00



ATTENTION, CET ARTICLE A ETE ECRIT
AVANT LE SOMMET DU G7 QUI S'EST TENU A LYON EN JUIN 1996 (?)

Lyon est-elle toujours la capitale de la soie ? Depuis que François 1er donna aux négociants lyonnais le privilège de la fabrication des tissus de soie en 1538, Lyon a bâti sa fortune et sa renommée mondiale en tissant des kilomètres d'étoffe soyeuse. Mais aujourd'hui, la soie n'a plus la cote et cette réputation est mise à rude épreuve. Les soyeux tentent de redonner à cette matière noble son éclat.

On a longtemps dit qu'à Lyon coulaient trois fleuves : le Rhône, la Saône et ... les larmes des soyeux. Cette image des fabricants de soie qui se plaignaient sans arrêt de leurs soit-disant difficultés au siècle dernier, alors qu'ils exploitaient jusqu'à la corde les ouvriers "canuts", a vécu. Si l'industrie de la soie lyonnaise est en perte de vitesse, les soyeux entendent bien restaurer l'image de l'étoffe qu'ils fabriquent.

"En volume, la soie représente une part marginale de la production" admet Jean Freidel, président d'Unitex, le syndicat des professionnels du textile. "Mais c'est un produit haut de gamme, qui tire l'image de Lyon et de son industrie textile dans le monde entier".

D'où le combat que mènent à l'heure actuelle les soyeux lyonnais. Si la soie n'est qu'une goutte d'eau dans la production textile nationale (0,5 %), elle symbolise un savoir-faire acquis au fil de plusieurs siècles d'histoire locale. Et cette image de marque qui profite à l'ensemble de l'industrie textile (basée à 85 % en Rhône-Alpes), il n'est pas question de la lâcher malgré les difficultés que traverse le monde aujourd'hui restreint de la soie. En 1995, les soyeux lyonnais produisaient 354 tonnes de fil de soie et 335 tonnes de tissus. Ce qui représente environ deux fois moins qu'il y a dix ans, et vingt fois moins qu'au début du siècle. Les raisons de cette dégringolade sont multiples. La concurrence séculaire avec les soyeux italiens a fait des dégâts. Tout comme la France, l'Italie possède toute la chaîne de fabrication de ce textile, des filatures jusqu'à l'impression finale. De l'autre côté des Alpes, on ne chôme pas avec une production sept fois supérieure à celle de la France et on tire sur les prix.

Concurrence des Italiens et des Chinois
"Il y a encore deux ans, nous étions 20 % plus chers que nos concurrents italiens et on s'en sortait car on pouvait vanter la qualité de nos étoffes" explique Guillaume Verzier, PDG de la Société Prelle, manufacture établie à Lyon depuis 1752 et spécialisée dans les tissus d'ameublement haut de gamme. "Mais aujourd'hui, ils sont pratiquement moitié moins chers. Si nos clients savent que Lyon est la capitale de la soie, ils vont acheter à Milan". Les Italiens, qui fabriquent une soie de moins bonne qualité aux dires des soyeux lyonnais, ont surtout bénéficié de la dévaluation de la lire qui a rendu leurs prix hyper compétitifs.

Autre ennemi de la soie lyonnaise : la Chine, d'où proviennent 80 % de la matière première qui sert à fabriquer le fil de soie. Principal producteur de ver à soie, la Chine a passé un cap voilà plus de cinq ans en exportant des produits finis à très bas prix et de qualité médiocre. Résultat : les chinois ont affolé le marché en tirant les prix vers le bas et ont entraîné une désaffection générale pour cette matière noble. Sur quoi est venue se greffer la crise dont les produits de luxe ont pâti.

Conséquence de cette crise de la soie, de grandes maisons soyeuses ont été contraintes de mettre la clé sous la porte ou se sont fait racheter par des investisseurs. Le mois dernier, l'entreprise Tassinari et Chatel, un des plus anciennes manufactures de soierie lyonnaise pour ameublement, a changé de main. Avec 5 millions de pertes en 1995, la société Decroix (tissage et location de linge), filiale de la Générale des Eaux a préféré se débarrasser de ce qui fut le fleuron de la soierie lyonnaise. Son avenir est désormais entre les mains de Jean-Baptiste Bellescize, investisseur d'origine lyonnaise qui a fait fortune dans les relations publiques. Déjà l'année dernière, le soyeux Bucol, fournisseur de soie pour la haute-couture, était racheté par le groupe Perrin, une filiale d'Hermès. La tendance est maintenant à la concentration, les maisons familiales passant sous le contrôle de groupes puissants.

Malgré la désaffection qui entoure la soie, Hermès tire son épingle du jeu. Elle a réalisé l'an dernier un chiffre d'affaires de près de 4 milliards (300 millions de bénéfices) dont 25 % réalisés en Rhône-Alpes à travers ses filiales. Hermès s'impose désormais comme le leader de la soie dans la région et prouve que la soierie de luxe a encore des adeptes.

Mais pour les entreprises qui travaillent encore à l'ancienne, en utilisant des métiers à tisser du siècle dernier seuls capables de produire des tissus complexes que les machines modernes ne savent pas faire, le tableau est moins rose. La manufacture Prelle n'a pas dégagé de bénéfice en 1995 et s'inquiète pour le renouvellement de sa main d'oeuvre. Ses commandes de soierie ancienne par les musées ou châteaux du monde entier se font rares et elle pourrait connaître des difficultés à former des ouvriers capables de travailler sur les anciens métiers à tisser. Sans la transmission de ce savoir-faire, Lyon ne serait plus capable de produire les étoffes qui ont fait sa réputation aux quatre coins du monde.

La défense s'organise
Alors pour ne pas perdre son titre de capitale de la soie, Lyon a sorti les armes. Les soyeux sont épaulés par de nombreux organismes qui agissent depuis Lyon : Unitex, Inter-Soie-France, l'Association Internationale de la Soie, le Centre Textile de Lyon et Région, l'Unité Nationale Séricicole et l'Institut textile de France. Tous agissent pour défendre la profession et promouvoir l'image de la soie. Par exemple, ces organismes ont décidé de contrer le monopole chinois de production de soie avec le programme Eurochrysalide. Le but est de maîtriser tous les aspects de la culture des vers à soie afin d'aider des pays étrangers (Vietnam, Colombie...) à produire une soie de bonne qualité qui sera ensuite exportée en Europe.

En ce qui concerne la lutte avec l'Italie, les soyeux lyonnais, quand ils ne peuvent pas baisser leur prix, doivent jouer sur la qualité des produits. André-Claude Canova voit d'ailleurs dans cette bataille un stimulant. "Nous sommes plus chers que les Italiens mais nous apportons à nos clients un service et surtout une qualité" estime le fondateur de l'entreprise de confection soyeuse Canova (carrés, cravates) créée à Lyon il y a 20 ans. La qualité de la soie lyonnaise est d'ailleurs très prisée par les créateurs de mode. Le parisien Olivier Lapidus a réalisé ses dernières collections en soie "made in Lyon" et Lise Tarraud ne jure que par les tissus de chez Bucol pour ses robes de mariée.

La qualité des tissus lyonnais n'est semble-t-il plus à prouver. L'enjeu est aujourd'hui de faire rayonner cette image auprès des acheteurs qui perdent l'habitude de se fournir à Lyon. Afin que la ville retrouve son aura d'autrefois, les professionnels misent sur la mise en valeur du patrimoine soyeux. Pour Claude Szternberg, directeur d'Unitex, il s'agit désormais "de marier l'économie, la culture et le tourisme". La Maison des Canuts, conservatoire vivant des métiers de la soie, demeure un des endroits les plus fréquentés de Lyon avec 35 000 visiteurs par an. L'objectif est de mettre ce patrimoine encore mieux en valeur. La Maison des Canuts devrait d'ailleurs être prochainement agrandie.

La tenue du prochain sommet du G7 devrait participer à cette logique : les chefs d'Etat recevront des cadeaux de soie, des expositions se tiendront au Musée des Tissus. Le Musée de la rue de la Charité présente par ailleurs en ce moment au Japon une exposition sur la soierie lyonnaise.

Après des années d'assoupissement favorisées par une position de leader trop confortable, Lyon repart à la conquête du monde pour damer le pion à ses concurrents. L'enjeu est de taille car l'aura retrouvée d'une soierie haut de gamme pourrait véhiculer de nouveau l'image de l'industrie textile lyonnaise à l'étranger. Mais il s'agit là d'une stratégie à long terme, amorçée depuis peu, et les fruits de ces efforts ne se récolteront que demain.

Garder la mémoire
Pour garder son titre prestigieux de capitale mondiale de la soie, Lyon ne doit pas perdre la mémoire. Avec la mort annoncée des derniers ateliers de tissage familiaux de la Croix Rousse, l'association "Soierie Vivante" souhaite préserver ce patrimoine lyonnais dans un Conservatoire des métiers de la soierie. Mais le projet a du mal à voir le jour.

Depuis le temps que l'on annonce la mort des derniers Canuts de la Croix Rousse, cela devait bien finir par arriver. La poignée d'ateliers de tissage qui fonctionnent encore, soit pour la production, soit pour le simple plaisir de vivre des machines ancestrales, pourraient mettre la clé sous la porte avec la prochaine fermeture des deux derniers ourdisseurs lyonnais indépendants. Chargés de préparer la chaîne de tissage, les ourdisseurs ont un rôle indispensable dans la confection soyeuse et sans eux, les derniers tisseurs ne pourront plus faire claquer leurs métiers. Plus qu'une profession, c'est donc une partie de la culture lyonnaise qui risque de faire le voyage avec le départ de ces derniers ateliers.

Pourtant, depuis plusieurs années, la lutte pour la conservation de ce patrimoine s'organise à la Croix-Rousse. L'association "Soierie Vivante" a vu le jour en 1993 avec cette volonté : veiller à la sauvegarde et à la mise en valeur du patrimoine lyonnais des métiers de la soierie.
"Soierie Vivante" a ainsi sauvé en 1994 le dernier atelier familial de passementerie (fabrication d'ornements textiles, de galons) de la rue Richan (4ème). Ouvert au public, il s'intègre dans une série d'itinéraires touristiques qui permettent de rendre visite à d'autres artisans soyeux de la Croix Rousse. En 1995, plus de 6 000 personnes ont pu découvrir ces ateliers familiaux et leurs métiers centenaires.
Et aujourd'hui, ces métiers à tisser deviennent de véritables espèces en voie de disparition et "Soierie Vivante" entend bien assurer leur sauvegarde. Une vingtaine de ces métiers dorment actuellement démontés dans des caisses dans un entrepôt de Villeurbanne. Mais pour les exposer au public et les remettre en marche, il s'agit de trouver un local. C'est la croisade que mène l'association. Depuis un an, "Soierie Vivante" a ressorti des cartons un projet vieux d'une quinzaine d'années : créer un Conservatoire des Métiers de la Soierie Lyonnaise. Son but ne serait pas uniquement d'abriter les vingt métiers qui moisissent en attendant des jours meilleurs. "Il s'agit de créer un lieu de communication autour de la soie" explique Jean Delafosse, animateur de "Soierie Vivante". "Ce serait une vitrine pour les métiers de la soie, qui donnerait la possibilité à ceux qui le désirent de s'exercer, d'apprendre à tisser pour que le savoir-faire lyonnais ne disparaisse pas".

Ambitieux dans son premier élan, les objectifs du projet ont été revus à la baisse. L'association ne cherche plus 1200 m2 prévus au départ, mais seulement la moitié. Ce conservatoire, qui a besoin d'un budget de 600 000 francs, semble avoir du mal à convaincre les industriels de la soie et la municipalité. Il faut dire qu'il existe déjà à Lyon une structure qui continue de faire vivre ces métiers d'autrefois : la Maison des Canuts. Née en 1970, rue d'Ivry (4ème), cette coopérative ouvrière de tissage qui vend sa production aux visiteurs (cravates, foulards...) s'est imposée comme un conservatoire vivant des métiers de la soierie. Et elle envisage aujourd'hui de s'agrandir. Autant dire que le projet de Conservatoire risque de faire un peu doublon, mêmes si les instigateurs du projet y voient plutôt un complément indispensable dans la route de la soie lyonnaise, déjà balisé par le Musée des Tissus et la Maison des Canuts.

La soie se plie en quatre pour le G7
Pour la tenue du sommet des sept pays les plus industrialisés, Lyon déroulera le tapis rouge mais aussi des kilomètres de soie. Les soyeux comptent profiter du G7 pour redorer le blason un peu terni d'une ville qui a longtemps été considérée dans le monde entier comme la capitale de la soie.
S'il y a un événement que les soyeux lyonnais ne veulent pas rater, c'est bien le sommet du G7.
Considéré comme un coup de pub géant pour Lyon, il va ramener fin juin les délégations des pays les plus riches du globe et leur cortège de journalistes. Les professionnels de la soie, industrie de luxe par excellence, veulent donc faire partie de la fête.
Pendant que leurs maris discuteront du sort du monde, les épouses des chefs d'Etat se rendront au Musée des Tissus où elles seront initiées aux secrets de la fabrication des fameux carrés de soie Hermès. Dans la salle des tapis persans, rénovée et climatisée pour l'occasion, Hermès exposera son histoire à travers une centaine de carrés. On leur montrera comment les foulards sont imprimés. Les ateliers A.S. de Pierre Bénite, qui impriment les carrés pour le compte de la maison parisienne, seront présents au Musée des Tissus pendant les 10 jours de l'exposition pour montrer leur savoir-faire. Pas nombriliste, le Musée de la rue de la Charité ne se contentera pas de vanter la seule soie lyonnaise puisqu'il exposera aussi une collection de kimonos de soie de la maison japonaise Hata (du 22 juin au 31 août). Bien évidemment, ces expos seront ouvertes au public, mais il est fortement déconseillé de s'y rendre le 29 juin. C'est en effet ce jour que le Musée déroulera le tapis rouge pour accueillir les femmes des Chefs d'Etat. Ces hôtes de marques repartiront certainement avec dans leur valise un peu de soierie lyonnaise. "La soie sera représentée dans les cadeaux faits par la Ville" affirme-t-on à la mairie centrale. Mais pour l'instant, on ne sait pas quelles maisons lyonnaises auront l'honneur de voir leurs produits portés par Mmes CLINTON ou ELTSINE, le protocole n'étant pas encore validé par l'Elysée.

Le G7 devrait donc profiter aux soyeux lyonnais. L'Hôtel de Ville, qui profite de l'évènement pour se refaire une beauté, a ainsi passé commande de tentures de rideaux à la manufacture Prelle, établie à Lyon depuis 1752. Mais le PDG de cette maison spécialisée dans le tissu d'ameublement haut de gamme ne compte pas en rester là. Guillaume Verzier entend bien profiter du G7 pour partir à la conquête de nouveaux clients. La manufacture Prelle s'est associée à quatre grandes maisons de luxe lyonnaise (Bronze d'art français, le tapissier Jouffre, le ferronnier Orgiazzi et le passementier Reymondon) pour créer le Comité Bellecour en novembre 1995, avec pour but de promouvoir les métiers de la décoration de luxe de la région.
"En ce qui concerne la soie, Lyon a beaucoup perdu de son aura" explique Guillaume Verzier. "La ville reste connue pour être la capitale de la soierie mais les clients achètent en Italie car les prix y sont plus bas. Et puis nous sommes assez peu connus du grand public".
Le Comité Bellecour veut donc profiter du passage à Lyon des délégations étrangères et des journalistes du monde entier pour faire connaître ses membres et ses activités. "Nous aimerions accueillir ces visiteurs de marque dans nos ateliers" résume PDG de Prelle. Le Comité Bellecour est en discussion avec André Soulier, l'adjoint au maire qui pilote le G7, pour faire partie du circuit proposé aux délégations. Conscient des retombées à long terme que pourrait engendrer une telle opération, André Soulier pourrait y prêter une oreille attentive. Il semble d'ailleurs être sensible à la qualité des travaux de ces professionnels du luxe. Son bureau à l'Hôtel de Ville à récemment été redécoré par trois des maisons qui composent le Comité Bellecour.

Frédéric CROUZET

source : page disparue sur Internet = http://www.lyoncapitale.com/anciens/38soie.html