Du Bombyx @ la Soie
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A la rencontre d'un écrivain cévenol qui parle de son livre LE MONDE DE LA SOIE.

pour l'ensemble de l'interview (très intéressante),
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II. VOTRE DERNIER ROMAN

Vous avez commencé à écrire de la science-fiction. Or, votre dernier roman, LA VALLEE DE LA SOIE est complètement différent: c'est plutôt un retour au passé, au XIXème siècle, et le cadre est celui des Cévennes, centré sur la sériciculture.

On peut le considérer comme un roman historique, social et psychologique. On pourrait même dire qu'il s'agit d'une épopéepuisque vous prévoyez une suite: l'épopée d'une jeune fille (femme) cévenole qui n'a qu'une passion- celle des vers à soie – et qui met tout en œuvre pour parvenir à ses fins.

Pourquoi ce(s) choix?

Il y a d'abord mon évolution personnelle: quand j'ai quitté la science-fiction, je me suis attaché au roman de terroir. J'étais alors à l'école de Brive et j'avais envie de me rapprocher de l'autobiographie, de parler de mon enfance paysanne que je ne cesse de raconter d'ailleurs. Ensuite, je me suis intéressé au passé proche, puis au passé plus lointain. En 1987, je suis venu habiter en Cévennes. Quand je suis arrivé ici, j'ai vu de très grandes et très hautes maisons. Et quand j'ai demandé pourquoi ces grandes et hautes maisons, on m'a dit que c'étaient des magnaneries et qu'il y avait, dans chaque mas cévenol, un étage qui était une magnanerie. Et je me souviens bien aussi de la première fois où je suis venu ici, c'était en hiver: les arbres n'avaient pas leurs feuilles. Il y avait des mûriers qui ressemblaient beaucoup à des saules. Puis, quand je suis revenu au printemps, j'ai vu à leurs feuilles que ce n'étaient pas des saules. C'étaient des mûriers. Et c'est ainsi que j'ai commencé à ressentir l'extraordinaire emprise qu'avait eu, sur ce pays, le vers à soie, la sériciculture. Un peu plus tard, un ami m'a fait constater que le Sud-Ouest était un pays riche où les gens étaient pauvres parce que la richesse était concentrée entre quelques mains mais que les Cévennes étaient un pays pauvre où les gens étaient riches. Ils ont connu une grande aisance à l'époque du vers à soie. Ceci m'avait beaucoup frappé et petit à petit, quelque chose s'est créé en moi, un désir, une envie d'écrire sur ce sujet qui m'apparaissait considérable. J'en ai alors parlé à mon directeur de collection. J'ai accumulé beaucoup de documentation à partir de ce moment-là, j'ai parlé à beaucoup de gens dont certains m'ont beaucoup aidé. A la soie j'ai ajouté la dimension religieuse du protestantisme qui m'a fasciné. C'est un élément incontournable, comme on dit dans le jargon médiatique. Cela a pris plusieurs années. Dans l'intervalle j'avais écrit deux livres sur les Cévennes, sur un sujet que je connaissais bien, à savoir l'école, avec L'année du certif. Je l'ai situé dans les Cévennes, un pays qui a du caractère et c'est du pain béni pour un auteur. J'ai donc abordé cela avec timidité, au début, la peur de choquer ou d'entendre les gens dire: "De quoi se mêle-t-il celui-là qui vient tout juste de débarquer et qui parle de nous?". Mais rien de tout cela n'est arrivé. Je me suis, au contraire, senti adopté par le pays. Je me suis donc dit que le moment était venu de me mettre à mon grand projet.

Vous avez accumulé beaucoup de documentation pour écrire ce roman. Comment gérez-vous toutes vos notes? Quelle part ont-elles dans le roman, à l'arrivée? Quelle est, aussi, la part de l'imaginaire?

J'ai une certaine expérience de la chose parce que tous les livres que j'ai écrits depuis que j'ai abandonné la science-fiction – j'excepterai Le vrai goût de la vie qui était très proche de l'autobiographie et pour lequel je n'ai pratiquement rien consulté –, que ce soit Une odeur d'herbe folle , Le soir du vent fou, La grâce et le venin, La source au trésor, Le printemps viendra du ciel ou L'année du certif ce sont des livres dans lesquels j'ai formé ma technique de romancier des racines mêlant personnages imaginaires et réalité. C'est une chose que je sais un peu faire. C'est une alchimie, une mayonnaise qui prend ou ne prend pas.

J'essaie de construire des personnages forts car j'aime les personnages forts et qui paraissent vraisemblables.

En ce qui concerne la documentation, je dois dire d'abord que je suis quelqu'un qui voyage peu, je n'ai pas Internet où, d'ailleurs, il n'y a pas grand chose sur le passé. Donc, je réunis, je rassemble de la documentation. Pour l'école, je le fais depuis quarante ans, depuis que j'ai été instituteur et je le fais pour beaucoup d'autres choses sans savoir d'ailleurs si je m'en servirai. Mais je suis surtout un fanatique des "puces". J'ai, une fois, acheté un camion entier chez un brocanteur mais enfin… passons. Je fréquente peu les bibliothèques, elles sont trop loin, tout est trop loin pour moi. Je suis un grand fidèle du marché aux puces d'Anduze et j'accumule, depuis des années, des documents. C'est ce que je fais depuis que j'ai le projet de travailler sur le thème de la soie. J'ai cherché de façon plus précise beaucoup de choses. J'ai lu beaucoup de livres dont certains sont d'ailleurs arrivés presque trop tard. Je ne sais pas très bien prendre des notes à partir des livres. Mais j'aime avoir des livres autour de moi. Il y en a des tas énormes qui sont souvent par terre, sur le plancher où il m'est plus facile de les attraper et je m'y plonge. Quand, grâce à la documentation, je suis parvenu à bien me représenter l'époque, un milieu, un travail, une situation, je place mes personnages là-dedans et je rajoute de la documentation, trop même parfois car mon éditeur m'en a fait couper cinquante pages dans La vallée de la soie.

Le problème que j'ai eu, avec La vallée de la soie, c'est que je ne connaissais pas bien le sujet et de ce fait, il m'était beaucoup plus difficile de comprendre la documentation. Il se fait donc une sorte de mayonnaise qui réussit plus ou moins. Enfin, d'après les lecteurs ou les libraires ou même la critique, il semblerait que j'ai assez bien réussi. J'écris donc actuellement le deuxième volume qui s'intitulera La soie et la montagne et qui se situera à Lyon. Je ne sais pas si je réussirai aussi bien. C'est un métier et j'essaie de ne pas m'en tirer trop mal. Est-ce difficile? Oui… sans doute… Ce qui m'aide, c'est la passion que j'ai pour cette époque, pour le pays aussi. C'est peut-être ma passion pour les Cévennes qui m'a aidé dans La vallée de la soie. J'ai un peu moins de passion pour la ville de Lyon, mais il est difficile de passer à côté quand on écrit un roman sur la soie.

Et puis, j'ai une passion pour mes personnages. Elle m'aide beaucoup même s'il arrive aussi qu'elle m'arrête… quand le personnage ne me plaît pas.

A propos de personnages, comment vous y êtes-vous pris pour créer le personnage d'Alexandrine?

 Ah! Je ne sais pas par quel mystère, mais j'avais envie que ce personnage s'appelle Alexandrine. Seulement, je me disais "Voilà. Il y a peu d'Alexandrine en Cévennes. Tu vas prendre un prénom qui est peu cévenol." Il fallait pourtant, sans que je sache pourquoi, que mon personnage s'appelle Alexandrine. C'était un véritable obstacle. J'ai essayé d'autres prénoms. J'aimais bien Thirza. C'est d'ailleurs un personnage secondaire de mon roman. C'est un prénom qu'on ne trouve guère qu'en Cévennes, c'est la transformation d'un prénom biblique.

Puis un des mes cousins lointains, qui est un passionné de généalogie et qui explore toutes les Cévennes m'a permis de trouver deux ou trois Alexandrine. J'avais donc le "feu vert".

Il arrive souvent, très souvent, qu'à travers une rêverie qui peut durer des années, un personnage soit contenu dans son prénom. Alexandrine était donc une cévenole protestante, de la commune de Valleraugue. Un livre m'a par ailleurs beaucoup aidé, il s'agit des Chroniques cévenoles de Rémi Teissier du Cros. J'ai choisi un endroit que j'appelle Les trois vallées qui est à peu près Valleraugue, un pays très marqué par le réveil protestant allant parfois jusqu'au mysticisme dans la période de la Restauration au Second Empire. Valleraugue, Alexandrine… tout à coup, mon personnage est sorti tout armé en moi: elle ne pouvait pas être une autre, elle ne pouvait pas être ailleurs.

Est-ce que cela a également déterminé le caractère du personnage?

Oui, oui, bien sûr. Par un biais aussi… vous savez? Flaubert disait "Madame Bovary, c'est moi". Et, quand j'étais au collège, j'étais intrigué. Je me demandais comment ce gros Flaubert, ce gros bonhomme pouvait être cet être tout en finesse, tout en légèreté? Avec Alexandrine, c'est un peu ce qui s'est passé pour moi. Alors son nom, son lieu de naissance, son protestantisme un peu révolté lié au réveil… ce côté un peu panthéiste… quand on habite au pied de l'Aigoual, ce lieu magnifique des Cévennes, il est difficile de ne pas confondre Dieu et l'univers. Ainsi, tout en étant moi, Alexandrine était aussi tout ce qui constituait son milieu, son époque et sa situation.

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